La transition sera amorale ou ne sera pas
En acceptant que soient mêlées des questions éthiques et des questions scientifiques, on ramène la rationalité au rang d’opinion, faisant perdre un temps considérable à la transition.
La durabilité et la transition sont des domaines complexes. Traversés d’un côté d’une littérature scientifique abondante, d’indicateurs précis et stabilisés. Et de l’autre de valeurs morales, de cas de conscience et de pressions éthiques.
Ces domaines sont dès lors nourris d’un côté d’une rigueur scientifique sans cesse confirmée et de l’autre d’envies et d’opinions qui tout en étant parfaitement respectables ne sont que ça : des opinions.
Ce message a été écrit en plein pic de la seconde canicule de 2025 en France alors que le mois de juin s’achève à peine.
Difficile dans ces conditions de qualifier le changement climatique d’opinion. Surtout quand dans le même temps, les scientifiques s’appliquent à un travail de vulgarisation régulier et brillant :
Pour autant, s’il devient intellectuellement acrobatique de nier les conséquences, le débat public bute encore sur les causes. En partie du fait d’opposants prêts à tout pour freiner au maximum les changements.
Mais également du fait d’alliés qui mêlent dans leurs discours des faits scientifiques rationnellement inattaquables et des considérations morales parfaitement discutables.
Et ça, c’est un problème.
Déjà parce que les opposants à la transition sont prêts à toutes les acrobaties intellectuelles pour retarder au maximum le changement, pour peu qu’ils aient quelque chose à gagner à l’immobilisme.
Que ce soit prendre les propos d’un militant de la cause animale pour les transposer à l’opinion “des écologistes”
Ou encore les propos d’un militant pointant le fait que l’élevage bovin produit a des impacts sur l’environnement qui devient une panique morale sur le fait que “les écolos veulent interdire le fromage”
Ou enfin, pour ceux qui s’en souviennent, les propos d’une élue écologiste mêlant la consommation de viande et la virilité.
Le problème ici n’est pas la validité de ces opinions ni la qualité de ces causes. Toutes sont respectables et discutables dans une société démocratique et chacun est libre de partager ou non tout ou partie de ces combats moraux et éthiques.
Le problème est qu’en acceptant que soient mêlées des questions éthiques et des questions scientifiques, on ramène la science au rang d’opinion.
Et comme disait Clint Eastwood dans l’Inspecteur Harry “Les avis c’est comme les […] tout le monde en a un !” (pour les plus curieux qui sont dans un environnement sonore non sensible, la citation entière)
Or, aujourd’hui, fin juin début juillet 2025, il va faire près de 40°C sur les ¾ de la France et plus de 80 départements sont en vigilance orange. Ca, ce n’est pas une opinion. C’est un fait qui s’impose à nous et qui n’est pas discutable.
Nous avons dépassé la possibilité de maintenir le climat mondial sous les 1,5°C de réchauffement et ça aussi c’est un fait indiscutable qui nous dépasse.
Face à ces changements profonds, irréversibles et d’ampleur mondiale, l’implication de tous est indispensable si l’on veut rester dans le domaine des risques gérables et pas entrer dans une spirale incontrôlable.
Et ça aussi ce n’est pas une opinion. C’est le résultat de travaux scientifiques menés par la BCE, l’ONU, l’UE, l’OCDE, l’Etat Français et même n’en déplaise à leurs responsables politiques, l’armée Américaine !
Les plus affutés d’entre vous se diront certainement que proclamer c’est facile et que faire c’est plus compliqué et je serais d’accord.
C’est justement le propos de cet article : pour faire il faut un compromis et les compromis ça ne se base pas sur des opinions.
Mettons nous d’accord sur la destination,
on s’engueulera sur le chemin !
Face à un problème qui s’aggrave chaque jour, la pire chose à faire c’est rien. Et à débattre des opinions des uns et des autres ou à chercher des coupables pour des situations qui nous dépassent tous, individuellement comme collectivement, on fait du sur place.
Pendant que la température continue de monter.
Pendant que les aléas climatiques s’accumulent sur l’économie
Pendant que les ruptures d’approvisionnement se multiplient.
Pendant que des secteurs entiers sont au bord du gouffre.
Nous n’avons plus le temps de débattre des solutions parfaites qui ne fonctionnent que dans le monde merveilleux de la théorie. Nous n’avons plus le temps d’espérer qu’envers et contre tout un sauveur viendra nous tirer de ce pétrin. Nous n’avons plus le temps de prêter attention à ceux qui titillent notre nostalgie ou nos peurs pour nous figer dans l’immobilisme.
Quand même le sable crame, sale temps pour les autruches.
Petite précision de vocabulaire en passant : amoral et immoral sont deux notions différentes. Souhaiter une transition amorale, c’est souhaiter une transition qui se base sur des faits rationnellement démontrés et hors de toute considération d’opinion personnelle.
C’est se préoccuper de minimiser les risques que l’on peut maîtriser pour se laisser des marges de manœuvre sur les risques que l’on ne maitrisera pas. C’est (par exemple) se préoccuper de la situation de peuples dont le pays va devenir invivable pour ne pas les condamner à une migration de masse qui ajouterait de l’instabilité à l’instabilité.
Ou encore accepter que les ressources polluantes dont on a besoin pour notre propre transition durable soient traitées chez nous plutôt que de continuer à exporter nos poubelles au bout du monde.
La transition immorale, par opposition, ce serait de vouloir annexer des territoires souverains au prétexte que leur sous-sol est riche ou leur économie indispensable au monde entier..
La solution ? Revenir au réel.
Nous vivons une époque véritablement unique dans l’histoire de l’humanité. Pour la première fois, nous sommes confrontés à un problème planétaire qui va entraîner des virages mondiaux en ayant toutes les cartes en main.
Nous connaissons les limites à ne pas dépasser
Nous connaissons des modèles pour tenir compte de ces limites
Et même (instant auto-promo !) des boussoles pour naviguer ces changements
Ce serait tout de même un comble que malgré tout ça, on continue à préférer de tourner en rond à la recherche d’un idéal parfait auquel personne ne croit plutôt que d’avancer, non ?
On vaut mieux que ça… non ?
Remarquable ! Merci pour ces réflexions de fond Benoît.