Ormuz, cet accélérateur de transition que l’on avait pas vu venir
Feu le président Chirac avait l’habitude des bons mots. Parmi ses habituels, il y avait celle empruntée à Audiard faisant dire à un Blier désabusé “Les emmerdes, ça vole en escadrille”. Et la semaine qui vient de s’écouler prouve une fois de plus la sagesse de l’un et la sagacité de l’autre.
Au bord du gouffre, faisons un grand pas en avant !
Alors certes, le début de l’année n’était déjà pas fameux pour les irréductibles optimistes et autres grands experts de la méthode Coué. Les signaux d’alerte se multiplient sur la fluidité des échanges de marchandises.
Entre les assauts méthodiques d’une administration Américaine qui paraît prête à tout pour faire revivre une époque fantasmée. Les tensions sur les ressources naturelles critiques qui semblent de nouveau devoir se résoudre à coup de conflits ouverts et le climat qui continue dans une indifférence quasi générale à aligner les records comme s’il voulait égaler les performances de la loi de Moore…
Le moins que l’on puisse dire c’est que les bonnes nouvelles se font rares et que rien ne permet de penser que ça ira mieux dans les temps prochains.
Surtout depuis ce weekend.
Depuis ce weekend, nous assistons au déclenchement d’un nouveau conflit opposant un pays possédant l’arme nucléaire (sans jamais l’avoir admis) voulant empêcher un autre pays de la posséder sur fond de haines tenaces et de griefs hérités d’engrenages initiés il y a plus de 110 ans.
La géopolitique n’étant jamais un sujet simple à cause unique, il y a un autre angle d’analyse de cette situation qui pour le moment n’a pas été creusé dans l’urgence à rapporter la situation en temps réel.
Et cet angle est le suivant :
L’allié régional indéfectible du premier producteur de pétrole mondial lance une offensive de grande ampleur sur celui qui possède les 4ème plus grosses réserves prouvées et qui contrôle le point de passage de près de 30% du pétrole mondial.
Quel intérêt me direz-vous, pour les Etats Unis, de risquer de mettre à mal un commerce mondial dont dépend une part du pouvoir d’achat de leur population ?
Déjà l’administration actuelle n’a habitué personne à la prudence quant aux conséquences de ses décisions, mais surtout la destination du pétrole qui passe par le détroit d’Ormuz profite en priorité à la Chine, désignée adversaire stratégique depuis une grosse décennie par les Etats-Unis.
Et nous, Français, Européens, dans tout ça ?
Pour l’essentiel, nous regardons passer le train. Pas parce que tel camp politique est nul ou tel responsable est faible. Parce que nous sommes dépendants de ressources fossiles produites à 99% (pour la France) par d’autres qui se sentent dès lors fondés à nous imposer leur vision du monde.
Les marchés financiers, qu’on ne peut pas vraiment accuser d’idéalisme, ont rapidement compris l’enjeu et se sont mis à acheter ce qui était disponible et tant pis si le prix repart à la hausse.
Résumons. Nous vivons sur un continent qui importe :
Plus de 90% de son pétrole et de son gaz naturel
La quasi totalité, 98% de ses terres rares
Entre 80 et 90% de son lithium, cobalt, graphite
Entre 50 et 75 % sur les autres métaux
Le tout dans un contexte géopolitique où des acteurs plus puissants et agressifs que nous n’ont aucun problème à ruer dans les brancards.
Face à ce constat, nos grands responsables politiques jamais à court d’un bon mot nous ont dit ces dernières années que l’Europe était “condamnée à la puissance” pour les uns et “condamnée à la transition écologique” pour les autres.
La réalité, c’est qu’à force de tourner en rond, nous risquons fort de nous retrouver condamnés tout court.
Et les derniers développements dramatiques au Moyen Orient risquent de mettre un grand coup d’accélérateur à la fuite en avant de nos économies et de nos sociétés.
Que faire face à l’impasse ?
I - Découvrir / mesurer ses dépendances
Nous sommes tous, habitants comme productifs de pays riches, dépendants de ressources qui font le tour du monde pour nous parvenir (parfois littéralement)
Dans un monde où la mondialisation vacille, c’est un risque. Au mieux il faut le minimiser, au moins il faut le mesurer et le piloter.
II - Mitiger le risque
S’il n’est jamais possible de se défaire du risque à 100%, il est possible d’en réduire la portée : si vous êtes dépendants de ressources qui viennent de loin, ajouter une part de ressources locales et/ou recyclées vous permettra de passer l’orage en cas de perturbation.
III - Sécuriser la valeur que l’on produit
Imaginons que vous soyez employé par une grande marque automobile.
Est-ce que vous produisez des voitures ou des solutions de mobilité ?
La première façon de voir les choses vous met à risque de finir comme les conducteurs de calèches au début du XXème siècle. La seconde vous ouvre des voies de développement quelques soient les transitions en cours et à venir.
Parce que la couleur politique ou le sens du vent boursier du moment ne changera rien à cette réalité objective : l’Europe importe 99% de son pétrole et le monde découvre moins de 15% de ce qu’il consomme depuis plus de 10 ans.
Plus d’infos ici :
La voiture thermique de masse est un objet qui va disparaître, qu’on le veuille ou non. La mobilité, par contre, va continuer d’exister. A priori on se déplaçait avant les voitures thermiques et on se déplacera après.
Charge à tous ceux qui œuvrent dans ce domaine de s’inventer une nouvelle façon d'œuvrer. Parce que la nature ayant horreur du vide, si vous ne le faites pas, d’autres le feront à votre place ou contre vous.
Au cas où vous en seriez à pousser un soupir de soulagement, pas si vite : cet exemple de l’automobile s’applique à la totalité des entreprises. Puisque le seul point commun de 100% des entreprises dans le monde, c’est de profiter de ressources naturelles pour les valoriser.
Vous êtes consultant.e ? Vous valorisez le cuivre, le lithium, le cobalt et une quarantaine d’autres métaux de votre ordinateur.
Vous êtes professeur.e ? Vous valorisez le papier et les fournitures de vos élèves, les bâtiments dans lesquels vous exercez
Vous êtes aide soignant.e ? Vous valorisez le matériel et les bâtiments dans lesquels vous exercez. A domicile ? Vous valorisez le véhicule que vous utilisez.
A ce stade, je n’ai jamais trouvé de contre exemple…
Nous sommes absolument tous des machines à prendre des ressources brutes de l’environnement et à les valoriser.
Et depuis ce weekend, l’endroit par lequel passe le tiers de la ressource indispensable au transit de toutes les autres dans le monde est en guerre ouverte. Avec des menaces claires de blocage de la part d’un des belligérants.
S’il vous manquait une raison de vous lancer “quoi qu’il en coûte” dans la transition de votre activité, en voici une plutôt imparable.
Parce que l’alternative c’est d’attendre que les ressources dont vous dépendez deviennent trop chères ou trop rares pour vous permettre de continuer.
Prochaine étape ?
Montrez cet article à la personne chargée de la RSE ou de la durabilité dans votre organisation, ça lui fera plaisir !
Et si vous n’en avez pas et que vous vous demandez par où commencer, on a probablement des réponses pour vous !