Tout ce que l’on vous a appris sur l’économie est faux (ou presque)
Ou plus exactement obsolète. Il est temps de penser l'économie autrement qu'avec des notions d'il y a deux siècles. Du moins si l'on veut y comprendre quelque chose.
Trust me, I’m (not) an expert
On a coutume, lorsque l’on veut comprendre un sujet, de faire confiance à ceux qui se disent experts du sujet en question. Cette méthode fonctionne assez bien avec les sciences dures, puisque lorsqu’un expert dit n’importe quoi comme par exemple que l’humanité n’a rien à voir avec le changement climatique, d’autres experts peuvent facilement lui donner tort.
En revanche, cette méthode ne fonctionne pas avec l’économie pour une raison toute simple : l’économie n’est pas une science dure. L’économie est l’étude des échanges marchands entre personnes physiques ou morales. Les seconds peuvent tenter de se faire passer pour rationnels pas toujours avec succès.
Les premiers en revanche sont un imbroglio de désirs, de pulsions, d’attentes et de rêves qui font passer après coup leurs actions comme rationnelles avec la flexibilité qui nous rendrait tous candidats pour le Cirque du Soleil si seulement il y était proposé des spectacles d’acrobaties mentales.
L’ancienneté, c’est bon pour les grands vins, pas forcément pour les idées
Les penseurs de l’économie ne font pas exception à cette logique, appliquant désirs et rêves dans leurs théories sans possibilité d’arriver à un consensus rationnel après coup puisque chaque situation est vue à l’aune de son contexte historique et des limites que l’on pense infranchissables à un instant donné.
Une de ces limites est la capacité de l’économie à se déployer sans limites dans un monde qui lui en possède.
Il y a bientôt 200 ans, à l’époque où l’on a commencé à penser l’économie moderne :
Jean Baptiste Say pouvait confortablement dire ” Les richesses naturelles sont inépuisables, car sans cela nous ne les obtiendrions pas gratuitement. Ne pouvant être ni multipliées, ni épuisées, elles ne font pas l’objet des sciences économiques. ”
et son confrère David Ricardo de rétorquer : ” On ne peut mentionner aucune manufacture dans laquelle la nature n’assiste pas l’homme et, qui plus est, ne le fasse généreusement et gratuitement. ”
A l’époque de ces augustes penseurs, l’idée même d’une limite était probablement vue comme une preuve de mégalomanie, de penser que l’humanité allait pouvoir avoir ce genre de pouvoir.
Hélas, deux siècles ont passé et désormais les augustes descendants de ces augustes penseurs disent désormais des choses comme « Celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. » (Kenneth Boulding).
Ou pour reprendre les termes encore plus précis de Jean-Marc Jancovici : “On a coutume de considérer l’économie dans une relation capital travail, si l’on applique cette logique à un bateau de pêche, le capital c’est le bateau, le travail c’est le pêcheur… mais qui compte les poissons ?”
Dans un monde où la revue Science nous a déjà alertés sur la date où l’on pêcherait le dernier poisson (2048), cette question devrait obséder tous ceux dont l’activité dépend de transformation de ressources naturelles.
Ah, ça va, c’est pas moi, c’est les autres !
A la lecture de cette dernière partie, on pourrait se dire que le problème concerne tous ceux qui travaillent en lien direct avec des ressources naturelles, tout le secteur primaire et une partie du secteur secondaire…
Malheureusement pour nos économies tertiarisées et nos légions d’employés de bureau, nous sommes tout autant concernés puisque l’intégralité du travail produit par l’humanité consiste à transformer des ressources naturelles.
L’intégralité.
Sans exception.
L’employé de bureau transforme des électrons, du lithium et du cobalt (entre autres machins aux noms imprononçables) en savoir efficace. Enlevez-lui son ordinateur et il consommera du papier et de l’encre. Enlevez lui le papier et l'encre, il consommera de l’argile et des baguettes en os.
L’artiste consomme l’amortissement des lieux où il ou elle se produit, également les déplacements des personnes qui viennent assister à la performance. Faisant de l’artiste un proche parent du professeur, bien que l’audience soit régulièrement moins heureuse d’être là.
La coach en prise de parole consomme des moyens de communication, de l’informatique, des électrons, des déplacements, des lieux…
J’ai eu beau chercher pendant des mois, aucune activité productive, marchande ou non, n’existe sans transformation de ressources naturelles. La valeur ajoutée, quelle que soit la métrique que l’on y accole, revenant systématiquement au temps que l’on consacre à cette transformation.
Et le capital dans tout ça ?
Le capital, c’est du travail passé dont on compte bien tirer un bénéfice dans le futur. Que ce capital soit :
Immobilier : ce n’est pas parce que vous avez fini de payer vos traites que vous cessez de bénéficier du bien en question, si ? Donc vous continuez d’en tirer les bénéfices, même s’ils ne sont pas forcément monétaires.
Mobilier : quiconque a déjà revendu un objet d’occasion sait bien que cet objet “vaut” encore quelque chose, même s’il “vaut” moins du fait de son état d’usage.
Financier : vous avez investi les fruits de votre temps passé dans un projet et vous comptez bien en tirer un bénéfice, non ?
Bref, l’économie est la mesure du temps passé à transformer des ressources.
Et ces ressources sont données une bonne fois pour toutes.
Donc la taille de l’économie a également une limite.
Oui mais…
Alors bien évidemment, chaque époque ayant ses gourous et ses prophètes, certains misent leurs espoirs sur l’économie de la connaissance (comme si elle pouvait se passer de serveurs et d’électricité) ou sur le découplage valeur ajoutée / ressources (comme si on l’avait observé ailleurs que dans des projections d’économistes).
Et si ces théories amènent à mieux valoriser notre temps et à avoir un impact moindre sur le monde qui nous entoure, c'est une excellente nouvelle.
Mais face à des idées qui violent allègrement les principes de la thermodynamique, je m’en tiendrais à un réflexe d’esprit critique de base : celui qui énonce un fait extraordinaire doit apporter en soutien une preuve extraordinaire.
Et le moins qu’on puisse dire c’est que ni du côté du multi docteur des réseaux sociaux, ni de celui de l’urologue illuminé (pour n’évoquer qu’eux), on ait encore vu la moindre preuve, extraordinaire ou non.
Dit autrement, l’économie ne pourra pas faire l’économie (pun intended) du réel encore longtemps. Sous peine de ne pas voir
Les liens directs et constants entre PIB et consommation énergétique.
Les liens directs et constants entre accès aux ressources et tensions internationales.
Les liens directs et constants entre promesses de croissance et instabilité sociale (ce texte a 15 ans, et n’a pas pris une ride)
C’est bien gentil tout ça, mais moi je suis chef de projet !
(Ou insérez ici votre poste actuel)
Cette remarque est à la fois vraie et un sophisme (ou biais) du nirvana. Ce n’est pas parce que vous n’avez pas 100% de la solution à un problème que c’est une raison suffisante pour ne pas s’en occuper.
Est-ce que sous prétexte que l’hygiène d’une personne ne suffit pas à assurer la santé d’une population il faudrait arrêter de fréquenter les salles de bain ?
Est-ce que sous prétexte que votre strict respect du code de la route n’empêche pas d’autres personnes d’avoir des accidents, il faudrait se penser en droit de conduire n’importe comment ?
Est-ce que sous prétexte que vous n’avez pas la main sur l'entièreté du budget de votre organisation, vous ne pouvez pas faire attention aux ressources que vous consommez ?
Bonus, ça fera probablement économiser de l’argent à l’organisation en question.
Nous avons tous une influence dans nos actes de tous les jours, même si aucun acte unitaire ne règlera entièrement la question, le simple fait d’y faire attention et de changer de trajectoire progressivement a un impact qui dépasse la plupart du temps notre sphère individuelle, que ce soit dans la vie privée ou dans la vie professionnelle.
Vous voulez un exemple ?
Elon Musk, qui s’est propulsé à la seule force de son talent d’homme le plus riche à second homme plus détesté de la planète a perdu des dizaines de milliards depuis le début de l’année et de son offensive contre l’administration Américaine. Avec quasiment 23 milliards perdus sur la seule journée du 11 mars.
Pourquoi ? Simplement parce qu’une multitude de personnes dont certains ont le même genre d’influence que vous cher lecteur, ont cessé de faire affaire avec lui.
Si vous trouvez un meilleur argument en faveur de la puissance du nombre et des petites actions, prévenez moi !
Se mettre en mouvement
Les défis qui sont face à nous sont de taille. Nous devons en même temps remettre en cause deux siècles de théorie économique tout en conservant assez de stabilité sociétale pour éviter que la tragédie de Mango Mussolini ne se reproduise de ce côté de l’Atlantique (si vous ne voyez pas le rapport, c’est que vous n’avez pas encore lu ça)
La bonne nouvelle, c’est que si aucune action unique ne résoudra le problème, aucune action unique qui va dans le bon sens est à perte.
Vous réduisez la consommation de matières de votre organisation ? Vous économisez de l’argent.
Vous faites durer vos appareils un peu plus longtemps ? Vous économisez de l’argent.
Vous mesurez l’exposition carbone et l’empreinte matière de votre organisation ? Vous réduisez vos dépenses et vous vous positionnez en faveur de l’avenir.
Henry Ford aurait dit “Si la population comprenait le système bancaire, je crois qu'il y aurait une révolution avant demain matin.” La révolution, désormais, est face à nous parce que l’économie que l’on nous a enseigné toute notre vie a essayé de faire l’impasse sur la réalité physique du monde.
Heureusement, nous avons tous les moyens pour la mener sans trop de dégâts.
Alors, on y va ?