La France aime ses petites entreprises. Elles sont racontées comme des piliers des communautés locales, des noyaux d’attractivité du territoire où elles sont installées, un contrepied humain et accessible au capitalisme financiarisé multinational…
Elles ont également un poids économique qui va bien au-delà du roman national. Employant un salarié sur trois et générant un euro sur 4 de valeur ajoutée dans le pays, elles sont un maillon indispensable de la production de richesse nationale.
Un maillon qui pourtant fait face à un défi immense dans les années qui arrivent et dont personne ne semble se préoccuper. Un défi qui pourrait emporter bon nombre d’entre elles s’il n’est pas géré à temps.
Ma petite entreprise…
“Comment je suis sensée financer ma retraite si personne ne veut ou peut reprendre ma boite ?”
C’est par ces mots que j’ai commencé à échanger avec Isabelle (prénom d’emprunt). Isabelle est une demi anomalie statistique.
Contrairement à 89% de ses pairs, Isabelle est une femme.
Mais comme un peu plus de 90% d’entre eux elle est dirigeante non salariée donc sauf décision personnelle ne cotise pas pour sa retraite.
Et comme la moitié d’entre eux, elle a plus de 55 ans :
En effet, le bon sens a longtemps voulu qu’une affaire qui tourne serait forcément transmissible, assurant à la personne cédante un capital pour assurer ses vieux jours.
Mais ça, c’était avant.
Aujourd’hui, Isabelle cherche à revendre l’entreprise dans laquelle elle a investi trois décennies de sa vie et de sa carrière mais tous les projets de reprise sont refusés par les banques qui ne suivent pas le projet.
Et elle est bloquée. Depuis deux ans.
…ne connait pas l’ESG
La quoi ?
La performance extra financière des entreprises, ou comme le résume parfaitement la BPI :
Les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG ou environmental, social and governance en anglais) sont les trois nouveaux piliers que les investisseurs examinent avant de prendre des décisions d'investissement liées à la performance extra-financière des entreprises.
Dit autrement, la performance extra financière est en train de devenir un critère notable dans les décisions d’investissement, ou de financement des prêteurs.
Sachant que les banques interviennent dans la quasi totalité des opérations de transmission / reprise / acquisition d’entreprise, vous commencez à voir arriver le problème.
Vers une autre crise du modèle productif ?
Résumons :
Environ 2 millions de dirigeant.e.s vont arriver à la retraite dans les 10 ans.
La quasi totalité d’entre eux sont non salariés et dépendent de la vente de leur activité pour s’assurer une retraite
Vente qui ne dépend plus seulement de la performance financière mais de plus en plus de critères extra financiers
Critères qui n’ont jamais été pris en compte et sont quotidiennement moqués dans les médias consommés par ces dirigeant.e.s
Et tout ça, c’est sans parler des emplois en jeu dans ces transmissions d’entreprises.
Si on y ajoute la temporalité de la disponibilité d’énergies fossiles modélisée par le Shift Project, nous allons nous retrouver avec une génération de petites entreprises coincées entre un dirigeant n’arrivant pas à partir à la retraite avec un niveau de vie correct couplé à une fourniture d’énergie qui va devenir de plus en plus chère.
Comme cocktail explosif ça se pose là.
Les modèles prospectifs utilisés dans les grands cabinets comptables modélisent tous des mouvements de concentration dans les années à venir du fait de cette double contrainte, ce qui est cohérent mais laissera sur le carreau celles et ceux qui ont investi leur carrière dans leur petite entreprise.
Ou un sursaut durable ?
La bonne nouvelle, c’est que la durabilité d’une PME est un sujet tout à fait accessible et qui peut même créer des opportunités de développement.
Les mesures carbone se démocratisent et l’accès à des professionnels n’a jamais été aussi accessible.
Des modèles de durabilité dédiés aux PME commencent à voir le jour. Chez 23h58 nous avons fait Archimède mais d’autres tout aussi pertinents existent et pourraient être la clef de l’avenir de votre entreprise et peut-être, la clef du vôtre !
Il n’est pas question ici de RSE, ni de transformer toutes les PME de France en porte bannière de l’écologie. Il est question d’adapter les entreprises à la réalité du monde dans lequel elles opèrent. Ce monde étant limité et de plus en plus contraint, revenir au réel et tenir compte de son environnement, c’est la même chose.
De penser une entreprise en fonction de son amont (la circularité), son activité (sa rentabilité) et son aval (ses externalités). Du bon sens en somme, n’en déplaise aux opposants vocaux de l’écologie comme de l’économie.
Corollaire : se préoccuper de durabilité permet d’avoir des réponses toute prêtes lorsque les financeurs de vos repreneurs potentiels poseront la question.
L’économie est un long fleuve tranquille (ou pas)
L’irruption des critères extra financiers est tout à la fois une excellente nouvelle pour la planète et l’économie et potentiellement une catastrophe pour toutes celles et ceux qui ont passé leur vie professionnelle à bâtir une entreprise pour la céder au moment de prendre leur retraite.
Une excellente nouvelle pour la planète et l’économie parce que dans un monde contraint, plus tôt on se met à la page des nouvelles réalités, mieux on est armés pour envisager l’avenir.
Une catastrophe pour toutes celles et ceux qui vivent selon les règles d’un monde obsolète s’ils ne font pas le choix de s’adapter avant que leur retraite ne soit remise en jeu.
Mais pour y arriver, il faut cesser les oppositions stériles et se retrousser les manches. Parce que ne rien faire face à un monde qui bouge à toute vitesse, c’est l’assurance de finir dans le fossé.
Pertinent, et pas seulement pour le domaine agricole !