Savez vous combien vous possédez d’extincteurs ? Chez vous ? Au travail ?
Savez vous, si vous êtes responsable d’un projet ou d’une entreprise, combien vous en possédez sur votre lieu de production ?
A ces questions, la majorité des personnes répondra non. Ou plus précisément, répondra “j’en possède autant que la loi me dit d’en posséder”, ce qui soyons honnêtes, revient au même.
Parce que l’extincteur dans toute sa banalité nous rappelle la possibilité de l’incendie. Du drame, de la catastrophe. Et personne n’aime entretenir de telles pensées. Il y a des choses tellement plus enthousiasmantes auxquelles consacrer notre temps, pourquoi irait on perdre du temps avec des pensées moroses et improductives ?
Les incendies en France en 2024 c’est un toutes les deux minutes, qui causera 800 décès et 10000 blessés pour plus d’1,4 milliards de dégâts sur l’année. Au cours de notre vie, une personne sur trois y sera confrontée. (Selon des vendeurs d’extincteurs !)
Et pourtant, malgré ces chiffres concrets et ce risque réel, nous possédons quasiment tous “autant que la loi nous dit de posséder” d’extincteurs.
Parce que nous ne sommes pas câblés pour penser risques mais opportunités.
La performance n’est pas un absolu
La performance est un de ces mots tellement gavés d’implicites culturels qu’il en devient un marqueur social, quasi politique. Au travail, nous sommes mesurés par une performance essentiellement mesurable. Il faut des indicateurs pour tout et tout le temps pour que l’on soit bien certain que la machine tourne comme elle devrait.
Mais ce que l’on oublie de dire, c’est que la performance est entièrement dépendante du contexte dans lequel on la mesure. Et que dès lors, un indicateur de performance devient obsolète dès lors que le contexte autour de lui change.
Reprenons notre vendeur d’extincteurs. Est-ce que pour lui la performance doit être fonction du nombre d’extincteurs vendus ? Du nombre d’accidents sur sa zone de chalandise ? De la qualité de la prévention incendie ?
Si on s’attache au premier indicateur, alors peu importe si la qualité des extincteurs correspond au risque qu’ils préviennent, tant qu’ils sont vendus.
Si l’on s’attache au second, comment mesure-t-on l’implication de ce vendeur particulier dans une situation globale ?
Même question si l’on s’attache au dernier.
Pourtant, quand une majorité d’entre nous lisons le mot “performance”, nous y associons une idée de croissance, de dépassement, de “plus”. Parce que c’est la définition admise dans notre contexte culturel.
Voici où nous mène ce genre de performance :
Des engins impressionnants, aux performances fulgurantes, qui produisent des résultats extraordinaires.
… Tant que tout va bien sur le plan d’eau sur lequel ils évoluent …
Parce que le corollaire de cette définition de la performance c’est ça :
Ou ça :
Sur un événement sportif, il est simple et relativement sans conséquences de décaler l’événement pour avoir un spectacle qui ne soit pas entaché de mauvaises conditions pouvant amener à des incidents.
Mais dans la vie de tous les jours ? Dans celle de votre entreprise ? Allez-vous être performants les jours où tout va bien et pester les jours où tout ne va pas bien ?
Après tout, ce n’est pas forcément de votre faute si un incendie se déclenche. Vous aviez respecté les normes et votre voisin qui lui ne les respecte pas a fait partir son entrepôt en fumée, entrainant le votre avec.
Ce n’est pas votre faute, mais vous souffrez des même conséquences parce que rien n’empêche un feu que rien ne contrôle de tout dévorer sur son passage.
La performance financière est reine dans un monde où l’on est assuré que les perturbations seront négligeables ou surmontables, et où rien ne saurait entraver la continuité des opérations.
A quel point cette définition colle avec la réalité du monde en 2025 selon vous ?
Mais ce n’est pas le plus grand défi
Une fois que l’on a explicité et démontré le risque, aligné les chiffres et les indicateurs, il reste encore l’étape la plus compliquée pour pouvoir passer à l’action.
Et cette étape est connue de toutes les personnes qui œuvrent dans le domaine du risque. Que ces personnes proposent des extincteurs, des soins, des assurances, des freins, ou de l’adaptation au changement climatique… Nous sommes toutes et tous confrontés au paradoxe du vendeur d’extincteur.
Et ce paradoxe peut se résumer très facilement.
Vous. Ou moi. Chacun d’entre nous pestons lorsqu’il s’agit de payer nos assurances. Chacun d’entre nous essayons de négocier avec les ordonnances que nous imposent les médecins. Chacun d’entre nous trouvons que quand même ces écolos en font des caisses…
Parce que nous avons en commun le fait d’avoir été élevé.e.s, d’avoir grandi et de nous être développé.e.s en tant qu’humains dans une société où la performance est une course perpétuelle vers le haut. Où l’opportunité l’emporte sur le risque et où nous n’avons en général vécu aucun moment de rupture suffisamment grave pour concevoir que ce soit simplement possible.
Dans le petit monde de la gestion de crise, on connait deux types de clients : ceux qui trainent les pieds et qui font le minimum vital pour assurer leurs obligations réglementaires vis-à-vis du risque et… ceux qui ont déjà connu une crise.
Le paradoxe du vendeur d’extincteurs est celui-ci : le seul moment où vos clients ont très envie de vous voir, c’est quand il est déjà trop tard pour éviter l’accident
Dépasser les faux dilemmes
S’il y a bien une chose dont notre époque manque cruellement, c’est de nuance et de tempérance. Une partie d’entre vous, chers lecteurs, vous dites surement à ce stade que je suis reparti dans des travers écolo déconnectés et que je vais vous recommander de lancer une révolution.
Pas du tout.
Déjà, comme disait Pagnol, les révolutions nous ramènent souvent au point de départ. Ensuite parce que le meilleur moyen d’achever un système qui ne tourne plus très rond, c’est de lui imposer des changements brutaux.
Demandez au climat.
Dire que la performance financière seule n’est plus une mesure pertinente n’est absolument pas égal à dire qu’elle est inutile. Simplement qu’elle ne suffit pas à couvrir l’ensemble des règles du jeu économique dans un monde où la mondialisation fluide et prévisible et le climat stable et tranquille sont devenus des réalités obsolètes.
Il n’y a pas d’économie dans un monde ravagé,
Il n’y a pas d’écologie dans un monde ruiné,
Il nous faut un pont.
C’est au prix d’une définition précise de ces nouvelles règles du jeu que nous pourrons sortir de l’impasse consistant à promettre toujours plus à tout le monde alors même que la production de richesses concrètes n’a pas évolué en tendance depuis 18 ans. (Sources ici et là)
Parce qu’il y a une troisième catégorie d’entreprises dans la gestion de crise : celles qui n’ont pas survécu à leur première crise.
Accepteriez-vous de courir ce risque ?
Si la réponse est “non”, trouvez-vous un vendeur d’extincteurs !
Oui et encore triple oui ! La performance de demain (et même d'aujourd'hui en prévision de demain), c'est la robustesse, et c'est tout !