La décroissance, personne n’en veut… Pas même les décroissants !
Tous les décroissants sont des menteurs. En réalité, aucun d'entre eux ne souhaite la décroissance ! Peut-être sont-ils victimes d'un cas classique de "ne tirez pas sur le messager"...
S’il y a bien une notion controversée dans les discussions sur la transition, c’est celle de décroissance. Elle souffre à la fois d’une dénomination repoussoir et d’un manque flagrant d’incitation à l’action. Pour autant, si l’on sortait des clichés et des clivages idiots pour voir ce qu’il y a derrière cette histoire qui a autant de détracteurs que de promoteurs ?
La décroissance, avant toutes choses, n’est pas l’appauvrissement. Après tout, l’inverse de la croissance c’est la récession. Donc la décroissance ça doit bien être autre chose.
Avouons pour commencer que la ou les personnes qui ont trouvé ce terme en premier n’ont pas été très inspirées…
La décroissance s’appuie sur un constat empirique pour le moment non réfuté par les chiffres : pour produire de la valeur, il faut transformer des ressources. Les ressources existent en quantité finie. Donc on ne pourra pas créer de la valeur à l’infini. Pas plus que l’on ne pourra continuer d’en créer toujours autant si tant est que l’on arriverait à se stabiliser.
La richesse, ça ne pousse pas sur les arbres
Prenons l’exemple d’un cerisier (ou de n’importe quel arbre si vous êtes cerisophobe). Sa vie peut-être séparée en 4 phases :
Il pousse et prépare sa future production de cerises : il ne produit rien ou quasiment rien.
Il arrive à maturité et produit de plus en plus, les fruits de sa croissance sont alors faciles à attraper puisqu’ils sont nombreux donc plus simples d’accès
Il passe un plateau de production et produit de moins en moins à mesure qu’il vieillit, et ses fruits sont de plus en plus rares et difficiles à attraper
Finalement il meurt, ayant rempli sa fonction de production de cerises.
Ce que l’on a appelé “cerisier” on pourrait aussi l’appeler “pétrole” :
Ou encore “cuivre” :
Ou bien “argent” :
Bref, l’ensemble des ressources que nous utilisons sont disponibles sur la planète en quantité déterminée et il n’est physiquement pas possible d’en accroître la production à long terme, puisque toutes les ressources comme nos cerises, passent par un plateau de production avant de décliner doucement puis de disparaître.
La décroissance, c’est admettre cette limite de notre monde et s’y préparer pour continuer de produire de la valeur sans scier la seule branche sur laquelle nous puissions nous asseoir.
Ou alors, traduit en démagogie politico-médiatique : “Je ne crois pas que le modèle Amish permette de régler les défis de l'écologie contemporaine”
La punchline est bonne, avouons-le ! Et elle fait écho à plus d’un siècle de valorisation de la réussite matérielle et de l’amélioration du confort de l’individu comme seul indicateur mesurable de “bonheur”
Dans le camp d’en face, à part Delphine Batho qui porte la notion de décroissance dans son programme comme preuve d’une écologie pragmatique, rares sont celles et ceux qui assument de dire qu’il va falloir se serrer la ceinture parce que disons-le tout net : personne n’aime se mettre au régime.
Et c’est bien là le cœur du sujet du jour : n’en déplaise aux politiciens goguenards et autres entrepreneurs en mal de positive attitude, vous ne trouverez personne chez ceux qui se disent (plus ou moins ouvertement) décroissants qui souhaitent cet avenir là.
D’un Jancovici qui affirme que la transition nous tombera dessus qu’on le veuille ou non parce que les stocks d’énergie sont limités à un Keller qui analyse les points de rupture des approvisionnements à un Heinberg qui analyse les inégalités d’accès au confort à un Hagens qui étudie les cabrioles faites par le monde de la finance pour continuer de produire de la croissance basée sur du rien… Même en allant jusqu’à un Barrau qui exhorte à arrêter de nous comporter comme si nous vivions dans le monde merveilleux des contes de fées…
Personne, strictement personne ne souhaite la décroissance.
Mais le terme est quand même bien mal trouvé non ?
Si. Et dans un monde d’étincelles médiatiques et de bombardement constant d’informations toutes plus brillantes les unes que les autres, il est possible que ce soit un défaut mortel pour le courant de pensée qui existe derrière cette notion.
Pour autant, même si le terme est nul et que les personnes qui l’ont trouvé ne gagneront jamais de prix de communication ou de storytelling, il faut tout de même se rendre à l’évidence : il n’existe aucune activité productive qui se passe sans consommation de ressources et aucune ressource n’est disponible à l’infini.
Donc chercher la croissance comme principe indépassable mène à aller lorgner sur les mines de terres rares des voisins quand on se rend compte que sa propre production de pétrole ne va plus durer bien longtemps (et ça vaut des deux côtés de l’Atlantique)
Et même en fermant les yeux sur les conséquences morales et éthiques de l’escalade violente que connaît le monde en ce début 2025, même si l’on admettait les thèses fumeuses de la supériorité des uns sur les autres… Même en renonçant à la décence la plus basique, on ne gagnerait que quelques années de confort avant de revenir exactement au point de départ. Est-ce que ça vaut vraiment le coup ?
It’s the courbe de gauss, stupid !
Il y a un second point, peut-être plus important à considérer dans cette problématique. Point qui explique probablement que le terme initial se soit stabilisé sur “décroissance” : la part des ressources qui restent exploitables est aussi la part que l’on a à disposition pour passer à autre chose.
Dit autrement : plus on attend, plus on devra faire avec moins. Parce que pour paraphraser une fois de plus Jancovici : on peut se taper dans le dos de la compétitivité des sources renouvelables de production électrique… tant que l’on accepte de fermer les yeux sur le fait que les panneaux solaires et les éoliennes sont en majorité dans le monde fabriqués à base d’électricité carbonée. Et pas seulement carbonée mais produite au charbon. La pire qui soit.
Une courbe de gauss, ou courbe en cloche, est le modèle utilisé pour représenter la production d’une valeur donnée dans un environnement clos. Notre cerisier va donner de plus en plus de cerises jusqu’à arriver à un plateau pour finalement redescendre doucement jusqu’à la fin de sa vie. Ca donne une représentation qui ressemble à ça :
La descente n’est pas agréable mais on peut en prévoir la trajectoire et on peut se préparer à la suite…
Que se passe-t-il, en revanche, si on essaie de tirer sur la corde et faire durer le plus longtemps possible la période de production maximale ? Il se passe ça :
La descente est beaucoup plus abrupte que la montée et l’on ne peut pas bénéficier du savoir accumulé pendant la montée pour prévoir le rythme de descente.
Si l’on applique ce principe à la production de cuivre, d’argent, de pétrole, de phosphate ou de gaz… On se retrouve avec des autocrates prêts à toutes les abominations pour conserver leur plateau de confort, et peu importe si les sociétés qu’ils dirigent subissent la descente de plein fouet.
Les décroissants, dans ce contexte, sont les personnes qui préviennent qu’une descente va avoir lieu en raison des lois de la physique et qu’il vaudrait mieux que l’on sache la gérer parce que l’alternative serait de la subir de plein fouet.
Quand Jancovici dit “Nous n’avons que deux choix, soit nous nous occupons du changement climatique, soit il s’occupera de nous” il dit précisément ça.
Quand Parrique écrit “Ralentir ou périr”, ce n’est en aucun cas parce qu’il a très envie de ralentir. Mais complètement parce qu’il n’a aucune envie de périr.
Et on peut trouver ce mot de “décroissance” moche, peu motivant, angoissant… Et il est tout cela. Mais il est également inéluctable. Et plus vite nous l’accepterons, plus nous aurons de chances de sauver les meubles.
Nous ne vivons pas dans le monde merveilleux des contes de fées où notre plaisir et nos envies sont des absolus indépassables. Parfois, nous prenons des décisions qui sont déplaisantes mais nécessaires.
Comme l’a dit en son temps le regretté Karl Lagerfeld :
La décroissance n’est pas jaune. Pour le reste en revanche…
Brillant et implacable !
"It's the courbe de Gauss, stupid" 😂😂😂
C'est mm la fu...ing courbe de Gauss !
Excellent post, as usual. Pour le terme, ça vient peut être de Degrowth, et donc probablement de Limits to growth ? Certes, la traduction est malheureuse, et je lui préfère le terme "Post croissance", qui d'ailleurs permet mieux les analogies au corps humain / à la croissance organique. Car les corps ne décroissent pas vraiment, ils dépérissent et meurent...
NB : pas loin de chez moi, il y a le festival de la Décroissance fin juillet